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Abi-Rached Samir

Beyrouth, 1947

Dans les repères culturels d’Abi-Rached, la peinture apparaissait comme l’un des rares artisanats chrétiens encore possibles et une compréhension du travail de l’image dans le sens de la fabrication. On était dans un total décalage au niveau de l’histoire, puisque la chaîne historique reliant le christianisme oriental aux théologies de l’image était rompue.

L’influence du surréalisme s’exerça sur la génération d’Abi-Rached. À ses yeux, son intérêt était de réhabiliter une peinture figurative. 

Pour sa part, Abi-Rached n’avait pas besoin, pour rendre ce qu’il percevait, de l’exagération surréaliste et de son luxe de détails destiné à rendre plausible ce qu’on montre, en se croyant pris au piège de l’inconscient, ignorant que l’inconscient, par définition, piège.

Chez lui, le créateur d’images apparaît plus comme un habile artisan que comme porteur d’une vision, du fait de sa formation de départ, de sa lecture du surréalisme et de sa façon de se situer dans le milieu socioculturel de la peinture au Liban. Il a été formé par l’atelier d’Alexandre Kalomitzeff.

Il peignit pendant quelques années des chromos, qui ne satisfaisaient ni leur auteur ni les spectateurs. S’il est vrai qu’on fait la peinture qu’on peut dans la société qu’on trouve, on peut aussi y faire la peinture qu’on imagine, en se donnant un idéal accessible.

Abi-Rached vit dans le surréalisme mysticisant de la revue Planète l’idéal qu’il pouvait s’assigner, les autres réalismes ne semblant pas suffire à le faire reconnaître comme peintre. Sa découverte du surréalisme advint moins en termes d’histoire de l’art que par une interprétation personnelle du surgissement sur le papier d’un monde intérieur, évalué comme réel par sa précision, et revendiquant sa valeur picturale par le rendu.

Dans le montage de sa vision chaque partie est dotée d’une spécificité autonome, et le regard est attiré par des détails dont la disparité interdit souvent la vision d’ensemble. Abi-Rached fit des dessins d’une grande précision technique, dessins et peintures littéraires qui finirent par apparaître comme le seul moyen, pour lui, de s’insérer dans le courant européen du surréalisme de la fin des années 1960.

Une frange du milieu francophone libanais s’en fit l’écho. D’où la promotion ravageuse de photolithographies de Salvador Dali, symbole d’une révolte qui semblait correspondre au début de libération de la société libanaise.

Il peut sembler trop facile de n’analyser le travail d’Abi-Rached qu’à propos du décalage des références ou d’une historicité. Parler d’un choix arbitraire d’influence serait rentrer plus encore dans l’illusion d’une image idéale à laquelle se conformer, alors que ce qui importe le plus est de prendre le peintre tel qu’il est.

En fait, le surréalisme, dans son rapport à la technique du rendu et à la figuration, apparut à la génération d’Abi-

Rached comme le dernier écho d’une lecture possible de l’image délivrée du poids de la théologie ou des avatars de la culture. Elle ne comprenait pas que Breton était un disciple fidèle de Gustave Moreau, et que, chez lui, le merveilleux naissait de l’accumulation des joyaux au cou d’Hérodiade. 

Dans ce qu’elle avait de plus littéraire, l’imagerie surréaliste devenait rhétorique courante et renvoyait l’écho de la minutie ou de l’habileté technique. Ironie suprême, l’étrange, quand il était visuel, donnait la preuve de la difficulté d’une existence précise invérifiable dans la culture libanaise.

Plus que celle de l’image, Abi-Rached se pose la question de l’imagerie.

Le chemin parcouru aussi erratique qu’il puisse apparaître aux yeux extérieurs ne l’est pas dans la logique du peintre par la distance de l’artisanat. L’imagerie surréaliste même, n’est plus celle des cauchemars surmontés, mais de la peinture envisagée comme un cauchemar à surmonter.

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