
Abdel-Hamid Baalbaki - Le Café, 1982-1983

Abdel-Hamid Baalbaki - Vieillesse, sans date

Abdel-Hamid Baalbaki - Le Café, 1982-1983
Baalbaki Abdel-Hamid
Odeissé (Liban), 1940 - 2013
Abdel-Hamid Baalbaki, fait partie de la première promotion des élèves de l’Institut des Beaux-Arts de l’Université libanaise fondé en 1966. La composition de cette promotion correspondait au découpage socioculturel de la société libanaise. À la différence de l’ALBA, de l’Université américaine et des cours privés (Cyr, Guvder), elle faisait se côtoyer tous les milieux et antagonismes.
À l’Université libanaise, Baalbaki était dans le sillage de ceux qu’Aref Rayess allait épauler dans leur revendication d’identité. Pour la majorité des professeurs de peinture de l’époque, le problème que posait celle-ci était essentiellement confessionnel, même s’ils proclamaient qu’il n’en était rien. Chacun y allait de sa théorie. De 1966 à 1975 se déroula une décennie d’expérience commune à des peintres venus des milieux les plus différents et animés des ambitions les plus divergentes.
Baalbaki aborda la question de manière symbolique. L’une de ses toiles qui traduit le mieux une peinture à sujet caractérisé représente un mort portant le ruban de deuil qui semble annoncer le deuil de la représentation et des procédés illusionnistes de la peinture. Avec une distance ironique et légèrement parodique, le peintre semble dire adieu à sa propre jeunesse ou, plutôt, à ce qu’il eût été sans la peinture : un jeune mort. Mais il avait aussi la naïveté de croire que tout était acquis par la seule intention.
La mise au point d’une scène picturale plus complexe allait se révéler plus difficile, dans l’oscillation entre le folklore et la difficulté d’assimiler totalement, pour la tenir à distance, la représentation occidentale. Tel était l’enjeu de l’emploi des mythes et mythologies populaires dans la « machinerie », c’est-à-dire dans la mise en scène de la toile. L’influence de l’école de peinture égyptienne, par trop proche du folklore, ne lui permettait pas d’aborder des sujets libanais. Il en allait de même de la possibilité d’identification qu’eût pu ouvrir l’enseignement de Rayess. Celui-ci fit, à l’époque, un reportage en dessins du quartier réservé de Beyrouth, où il voyait un réquisitoire contre l’hypocrisie de la société. Le sujet se révélait neuf dans son intention d’aller bien au-delà de son traitement pour parler d’un réel proche et de tout ce qu’il signifiait. Il y avait là un projet de peindre en s’éloignant de la convention et en prenant l’anticonvention comme point de départ.
Les difficultés à traiter le réel, à enclencher les mécanismes de la représentation, amenèrent Baalbaki à des toiles où il explora l’imaginaire pictural populaire à partir de la mise en scène d’une métaphore et de sa traduction en éléments visuels. Ces mécanismes de constitution du réel, que toute une série d’approches tentaient vainement de mettre au point, se révélèrent inaptes à exprimer la réalité autrement que par bribes.
Après avoir obtenu une bourse du gouvernement libanais, Baalbaki passa trois ans à Paris, entre l’extrême perplexité et un sourd refus, en disposant de quelques points de repère, tel l’art arabe. Il fut l’élève de Rohner à l’École des arts décoratifs. Lisant peu le français et le parlant mal, il faisait dans Paris de longues marches, avec les seuls repères de la mémoire visuelle, et connaissait toutes les images des rues par cœur sans pouvoir en nommer une seule.
Chez lui, le rapport au réel était lié à une représentation iconique lentement élaborée et d’autant plus complexe qu’au départ, ses thèmes n’étaient pas évidents à ses propres yeux. Chiite, il avait accédé à la ville hors de la tradition sunnite de la pratique urbaine. Il lui fallait donc l’explorer et l’exprimer en même temps, la richesse de l’exploration n’étant pas toujours doublée de celle de l’expression, car il se heurtait à son refus névrotique de la « perfection », de l’emprisonnement dans la forme. De fait, rares étaient les formes sur lesquelles Baalbaki pouvait travailler. Il n’avait pas recours à celles qui, au niveau communautaire, lui étaient le plus sensibles, s’éloignant des données figuratives où, en revanche, Charaf se plongeait pour en parler de manière personnelle, quitte à utiliser sous toutes ses formes l’art populaire. Baalbaki devait, pour sa part, trouver le lieu du tableau. Or le décalage aboutit à une impasse quand une forme socialisée de l’expression populaire ne puise pas constamment à des sources vivantes.
L’enseignement qu’il avait reçu avait fortement marqué Baalbaki. Rayess socialisait les formes et la peinture par une politisation qui, pour rassembler les Libanais, devait effacer les différences confessionnelles. La revendication de l’héritage communautaire s’estompait devant une thématique sociale qui la tenait pour une manière de figer les hommes dans leur communauté, alors qu’il s’agissait précisément de les en faire sortir.
Prudent, Baalbaki ne s’engagea pas outre mesure dans cette voie. Ne pouvant lire la peinture à un niveau national, il insistait sur le rôle qu’elle jouait, pour lui, comme acte fondateur dans le déroulement d’une histoire de la peinture au Liban et dans les pays arabes. À ses yeux, il était faussé par la trop forte influence de la peinture européenne.
Il voulait travailler à la constitution d’une peinture plus proche du réel et de ses éléments, tenus pour symboliques dans la mise en place de l’imaginaire et de la construction de la toile. Réalisme symbolique, donc, plus que réalisme magique, où le symbole est moins lourdement appuyé et sa signification donnée sans appesantissement.
On ne saurait dire de Baalbaki qu’il fait un art disparate, mais la disparité des sources de ce qu’il peint introduit sans cesse des clivages entre des images créées, d’une originalité réelle, et des chromos virulents auxquels on ne reprochera pas de colorier des images sentimentales, mais plutôt de ne pas décoder leur lecture.
Dans certaines toiles, Baalbaki dépasse ce qui semble être le folklorisme d’un art régional, non seulement par le ressassement technique, mais aussi par une constitution de l’image en objet de sens et de signification visuelle, quand la rupture de cette unité sépare le sujet et son traitement.
La réponse picturale s’articule, dans le même tableau, sur une série de coupures qui apparaissent comme contraignantes et illisibles quand elles sont lues au même niveau. La discordance de ces lectures induit la nostalgie de ces nœuds compliqués, aux points de révélation des caractéristiques communautaires et confessionnelles.
Cette discrétion du déplacement et du recouvrement contradictoire du sens, typiquement chiite, fait du déplacement revendiqué un point de doctrine et une réalité tangible de la pensée dans son application à la peinture. C’est peut-être en cela qu’il faut chercher l’explication de la réussite de Baalbaki dans certaines toiles, et de son errance dans les autres. Car la mise en perspective des problèmes qu’il pose, même pour lui seul, reste sans écho ni réponse hors de sa peinture.

Abdel-Hamid Baalbaki, 1982

Abdel-Hamid Baalbaki, 1982

Abdel-Hamid Baalbaki, 1979

Abdel-Hamid Baalbaki, 1982