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Cyr Georges

Montgeron (France), 3 juin 1881 - Beyrouth, 4 juillet 1964

Georges Cyr commençait à être un peintre reconnu à Paris quand un drame personnel lui fit quitter la France, en 1934.

Il choisit, presque par hasard, le Liban, où il devait passer vingt-sept années. Toute son œuvre, à partir de cette date, est faite par rapport au Liban. Il y était venu par hasard et y resta par goût.

Dès le départ, il ne connut pas de problèmes d’adaptation et fut entouré d’un cercle d’amis proches, Libanais et Français vivant au Liban : Georges Schehadé, Antoun Tabet, Gabriel Bounoure, Jean Chevrier, Henri Seyrig, Georges Naccache. Il travaillait dans un courant modernisant, une avant-garde à couleur locale, un cénacle restreint comme pouvait en susciter la société libanaise. Tout deviendra plus difficile à partir du moment où, de par sa fonction – celle de conseiller artistique à l’ambassade de France qu’il occupera quelques années, – il sera le mentor officieux d’un public francophone assez candide pour se croire au centre de l’intelligence et du goût. Il y régnait, du moins jusqu’à la fin du Mandat, un hédonisme de bon ton. Cyr sera d’ailleurs identifié à la société du Mandat alors qu’il correspondait au clivage entre Mandat et Indépendance et s’était voulu un relais entre les deux périodes.

Comme Seyrig, il avait contracté le mystérieux virus qu’est le goût de la vie à Beyrouth, extrême province mais aussi extrême pointe de l’Asie. Mais là où Seyrig n’avait trouvé qu’une discipline et l’impérieuse exigence qui consiste à vouloir se réaliser dans un désert, Cyr découvrait un cercle de jeunes Libanais ambitieux, pour qui il représentait Paris et l’avant-garde, ou du moins ce qu’ils imaginaient être Paris.

Il lui fallut alors jouer le rôle qu’on lui assignait. Il devint une part de la présence française au Liban et ravit la société qui l’accueillait parce qu’elle retrouvait en lui le miroir de ce qui la justifiait.

À l’époque, les peintres devaient vivre de la vente de leurs toiles, et il y avait nécessairement une part d’artisanat dans la production de la représentation. Cyr fut peintre avec plus d’artisanat que de métier, et plus de métier que de création, mais de ce métier et de son exercice, il sut maintenir l’alacrité. Il transposa la couleur locale jusqu’à son propre rêve, qui finit par lui faire apparaître sa peinture comme une parodie inutile, une illusion perpétuellement changeante.

Il vendait des aquarelles, pour vivre. C’est ce que faisaient Onsi et Farroukh, qui peignaient, eux aussi, des paysages libanais ou des scènes de genre pour des acheteurs fortunés. Cyr entretint des rapports amicaux avec Onsi, dont la femme, Alsacienne et jardinière au collège protestant, faisait en sorte que son mari pût vendre de temps à autre une aquarelle à un professeur ou un touriste ami. Onsi était, pour sa part, relativement retiré de toute vie sociale et ne faisait pas figure de concurrent dans les milieux que fréquentait Cyr. Onsi, Farroukh et Gemayel avaient fait leurs études à Paris, et Cyr ne leur en apportait donc pas les leçons.

Il s’intégra rapidement au système pictural et social de la frange cultivée de la société franco-libanaise. Farroukh se trouvait au point de clivage entre la société islamique sunnite dont il était issu, et qui lui assurait sa clientèle, et une société française avec laquelle il estimait avoir à traiter, non au motif de ses études à Paris, mais parce qu’elle représentait un public d’acheteurs potentiels. Quant à Gemayel, actif dans les milieux intellectuels, il était perçu par Cyr comme un peintre mondain voué aux facilités des portraits sur commande. Ils ne fréquentaient pas le même milieu, et de toute évidence, leurs mondes ne se rencontraient pas. Gemayel était le peintre d’une bourgeoisie libanaise aux yeux de laquelle il personnifiait la peinture, à la différence d’un Cyr tenu pour un bohème parisien. Cyr voyait aussi en Gemayel le retour à un impressionnisme plaisant, dont la peinture ne se justifiait pas.

Vers la fin des années 1940, Cyr traversa une crise très violente, un questionnement sur sa place dans l’histoire de l’art contemporain. Sa grande affaire devint son difficile dialogue avec le cubisme, dialogue décalé, peinture cubiste telle qu’on la comprenait dans les années 1930, mais qui dans son cas, fut continuellement fouettée par la chaleur et la lumière de la Méditerranée, ainsi que par une sensualité qu’il ne pouvait plus traduire en aquarelles. 

Ayant épuisé le travail à l’aquarelle du paysage libanais et exploré toutes les résonnances du genre à ce niveau, il voulait quelque chose de plus construit, qui fit le poids par rapport à l’histoire de la peinture.

Le chapitre des aquarelles clos, c’est Paris qui l’intéressa de nouveau comme enjeu nécessaire. Il y faisait un voyage chaque année, y exposait dans le sillage des interrogations du post-cubisme. Sa sensibilité à la lumière lui venait de son vieux fond de peintre des guinguettes des bords de Marne découvrant l’Orient et gardant toujours l’œil sur Paris, ne fût-ce que pour avoir l’air d’être « au courant » aux yeux des Libanais. Toutefois, à la différence d’Onsi, il s’épuisait à se poser des questions, estimait n’avoir pas obtenu des aquarelles d’autre réponse que la sensualité nonchalante où la peinture finit par n’être plus que l’exercice d’un voyeurisme épuisé par la sensation.

Cyr tenta de s’en préserver par la rigueur forcée d’une construction cubiste perçue à travers sa lecture des années 1930 et les tentations, perpétuellement détournées, d’une intégration à une avant-garde qui n’était, en fait, que la vitrine commerciale d’un pays sous mandat soucieux d’imiter sa métropole. Mais sa peinture de la fin des années 1940 fut souvent d’une grande qualité dans le courant post-cubiste, construite et claire, mesurée et élégante.

Les objets picturaux de Cyr étaient typiquement français et il avait recours à ce qu’il avait appris de la peinture. Pour lui, le cubisme semblait être la seule structure possible, la seule assise picturale de la modernité.

Eut-il l’ambition d’innover dans un cubisme synthétique par rapport aux succès de Lhote et à la vogue du néocubisme après la Libération ? En tout cas, il voulut désespérément être reconnu à Paris, seul et nécessaire enjeu, en même temps qu’il maintenait au Liban, de façon vivante et féconde, une présence culturelle française qui aida bon nombre de jeunes peintres libanais, ne fût-ce qu’à se démarquer de lui, après avoir passé dans le moule souvent contraignant de son atelier.

Après la Seconde Guerre mondiale, Cyr mesura l’anachronisme de sa situation et remit en question la valeur de sa propre peinture. Il voulut se fondre dans la vie libanaise. Qu’il l’ait ou non souhaité, il aida à poser et à catalyser l’idée d’une peinture libanaise faite par des Libanais. Il ne peut que s’être posé l’angoissante question de sa place dans l’histoire de la peinture et dans celle de la peinture au Liban. En fait, si l’on peut dire qu’il ne s’y inscrit pas, c’est seulement parce que ce déroulement naturel n’existe pas.

À la limite, tout peintre est un accident ; accident heureux quand il apporte quelque chose de neuf. Cyr eut sans doute, de par son expérience libanaise, une historicité réelle due à sa présence, à son influence, à sa façon de réagir par rapport à une atmosphère et à un pays, en participant à sa vie culturelle durant une période suffisamment longue pour être significative.

Georges Cyr a exposé en 1935 et 1938 à l’hôtel Saint-Georges à Beyrouth ; du 11 au 28 février 1949 et du 10 au 21 mai 1950, au Centre d’études supérieures à Beyrouth ; en février 1953, et du 16 au 30 juin 1954, à la galerie Art vivant à Paris ; en décembre 1954 à la galerie Fritz Gotthelf à Beyrouth ; du 25 octobre au 12 novembre 1955 à la galerie Art vivant à Paris ; du 13 au 19 mai 1956 au Centre d’études supérieures de Beyrouth ; du 5 au 20 avril 1957 à la galerie Perspectives à Beyrouth ; en 1960 et 1961 à la galerie Alecco Saab à Beyrouth.

Il lui fut consacré une « Rétrospective 1933-1962 » en 1962, au Centre d’art contemporain de Beyrouth et, en 1963, une exposition au journal L’Orient.

Georges Cyr fait de Beyrouth un anti-Paris de mandat puis de province, allant des années 1930 aux années 1960 par ce que les années portent de mode, de courant, de surface, de pesanteur et si peu d’inattendu.

Les volets de son atelier n’ouvrent qu’à la mer, c’est déjà énorme mais c’est tout. Tout comme il aura fait de Paris un anti-Beyrouth puisqu’il est le seul dont le double positionnement lui aura permis, pendant plus d’un quart de siècle, de faire l’aller-retour, mental du moins, à un rythme régulier.

Parler de Cyr c’était avant tout pour la peinture libanaise, relier l’origine nécessaire d’un lieu et d’un lien à l’anti-exil. Pour les Libanais, les ancêtres de Cyr, c’était tout simplement la peinture française. C’est une libanisation où le recours à un lieu fit aussi que sa présence ne se justifiait que par le rapport violent à Paris.

Il faut souvent garder en tête que derrière Cyr il y eut Gabriel Bounoure, Schéhadé, Naccache et les années 1930. Il apporta aussi une possibilité de questionnement et de lecture du tableau, des modalités de cette lecture et de ses antécédents.

Jusque-là, cela n’avait pas été envisageable dans la société libanaise. Il n’y avait pas d’antécédents historiques de la critique d’art, mais la lente mise en place, suivant les schémas des salons européens du xixe siècle, de salons plus ou moins réguliers à partir des années 1930 aux Arts et Métiers, au siège de l’artisanat libanais, place de l’Étoile, ou dans les bâtiments du ministère de l’Éducation nationale à l’Unesco.

Les expositions individuelles articuleront d’autres pratiques par la mise en place des cultures socioconfessionnelles dans leur interaction avec la projection d’une culture nationale. L’histoire de ces pratiques culturelles voit aussi les commandes officielles des années 1950 et 1960, les différents prix décernés par l’Éducation Nationale ou des Institutions semi-officielles ou municipales.

Les années 1950 voient aussi naître les premières galeries hors des halls d’hôtel ou des salles d’exposition louées.

L’activité principale de Cyr restera la peinture mais, vendant peu, il dut subvenir à ses besoins, en ouvrant un atelier d’enseignement, ce qui avait d’ailleurs été son projet à l’origine, puisqu’il en obtient l’autorisation avec Nelly Marez-Darley l’année suivant son installation à Beyrouth.

Il fit aussi dans les années 1940 une série d’émissions d’initiation à l’art à la radio libanaise et occupa un poste de conseiller artistique à l’ambassade de France à la fin des années 1940 et au début des années 1950.

Le cubisme et l’art abstrait furent au centre de son interrogation de la modernité, où la synthèse prudente et de bon goût qu’elle élabora devait plus impliquer une manière d’harmonie qu’une recherche radicale. Cela se remarque d’autant mieux dans les toiles post-cubistes des années 1950, où les valeurs et les ombres ne sont plus rendues que de manière graphique.

Il avait fait quelques tentatives pour se faire entendre et exposer dans le Paris de l’après-guerre entre André Lhote et le post-cubisme. Mais, de retour à Beyrouth il ne put que jouer au patriarche pour les amateurs du Centre d’art et navigua entre Fritz Gotthelf et René Drouin.

Les dés, sinon à être pipés, n’étaient plus en ses mains. Il était devenu trop libanais par cette mise en rapport du décalage et du temps, qui brisait toute possibilité de mise en rapport.

L’inscription dans un temps aussi ténu qu’il soit, dans le fil d’une histoire et surtout dans une histoire de la culture, tout cela apparaît tellement problématique par la fragilité de la répétition. 

Il ne faut pas oublier du reste que Cyr était dans une position oblique par rapport à la peinture libanaise. Et s’il était devenu un peintre libanais, il restait le peintre français de la société libanaise qui regardait vers Paris. Le cubisme lui avait posé à la fois les questions et les réponses toutes faites par ce qu’il impliquait de réelle interrogation de la toile, comme le post-cubisme des années 1940 et 1950 lui avait semblé un autre moyen de reconstruire la toile sans réaliser qu’il n’était le plus souvent qu’un académisme en retour.

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