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Douaihy Saliba

Ehden (Liban), 14 septembre 1912 – New York, 21 janvier 1994

Quand le jeune Saliba Douaihy, élève de l’école des Frères de Zghorta, décida de faire de la peinture, les parents et voisins tinrent conseil pour rechercher le meilleur moyen de l’aider à développer ses talents. La culture du Liban-Nord, la tradition de la peinture religieuse, amenèrent à l’adresser au patriarche maronite pour qu’il lui obtienne une bourse pour Rome. À Bkerké, le patriarche Hoyeck imposa qu’avant le voyage de Rome – il en était allé de même pour Daoud Corm un demi-siècle plus tôt, à ceci près qu’il fit le voyage – le jeune Saliba ferait son apprentissage chez un peintre libanais, et il l’adressa, avec une lettre de recommandation, à Habib Srour, qui passait l’été à Becharré.

De seize à vingt ans, Saliba Douaihy fréquenta l’atelier de Srour qui n’était pas étranger au Liban-Nord. Il découvrit l’intérêt pictural de la région et l’ouvrit au jeune Gibran, dont il fit le portrait. L’apprentissage de Douaihy porta sur l’alphabet classique de la représentation, tel que Srour lui-même l’avait étudié à Rome autour de 1880.

Progressivement, l’apprenti passa du désir de devenir peintre à la réalisation de sa vocation. En 1932, il obtint une bourse du gouvernement libanais pour continuer ses études à Paris. Il réussit au concours d’entrée à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts à Paris et, de 1932 à 1936, en suivit les cours jusqu’à l’obtention du diplôme. Passer du Liban-Nord et de l’enseignement d’Habib Srour à l’expérience parisienne n’était pas une mince affaire, mais pour le jeune homme passionné de peinture, l’expérience valait d’être tentée.

Ce séjour à Paris évita à Douaihy de connaître la situation de crise que traversait la culture au Liban au début du Mandat français. S’il s’était trouvé sur place, il n’aurait pris conscience de celle-ci que trop tard, et eût peut-être manqué des possibilités et moyens d’en sortir, à supposer qu’une issue fût concevable. Il affronta Paris avec le bagage de son milieu traditionnel, et aussi, avec la perspective de la peinture religieuse comme ouverture possible sur la vie professionnelle.

Quand Douaihy rentra au Liban, après un passage par Rome, il se vit confier par Monseigneur Arida la décoration du plafond de l’église de Dimane, que le prélat faisait construire. Cette importante commande marquait le retour du peintre aux prémices de sa vocation. Imbu de peinture classique, de Michel-Ange, de Raphaël et de la Renaissance italienne, il se mit au travail dans cet esprit. L’expérience fut importante : cette commande fut son premier pas dans une série de travaux d’église qu’il ne traita nullement en termes traditionnels, il y puisa les thèmes catalyseurs de son œuvre.

Au début des années 1940, quand il quitta Dimane, il éprouva sans doute une déception, mais il revint à la peinture de chevalet et, surtout prit part à la vie culturelle et artistique et parcourut le Liban en tous sens. Pour lui, le problème était clair. Il voulait constituer une peinture libanaise qui fût porteuse du folklore et rendît compte du paysage et des types humains. Cela semblait être l’obsession des peintres libanais de l’époque du Mandat. Cette revendication d’authenticité, née d’un profond besoin d’identité jouait de façon articulée, mais dans un cadre si restreint, au niveau de la sensibilité et de l’intellect, que l’artiste se retrouvait seul face au sujet, sans écho ni secours de quelque sorte que ce fût : public, galeries d’art, vie artistique réelle, bref sans avoir le sentiment d’être apprécié et compris.

Par rapport aux peintres consacrés du temps, Daoud, Corm, Srour et Mourani, portraitistes ou exécutants de commandes d’églises, Douaihy réagissait violemment, ne voulant pas répéter ce qu’ils faisaient. Il revint au Liban-Nord pour poser le rapport de la nature au paysage, qu’il traita désormais en une sorte d’impressionnisme moins diffus, plus construit, avec de larges touches où le rendu pictural apparaît comme moins important que le rendu de la sensation. Il corrigeait son lyrisme naturel par une manière de décomposer la lumière crue qui tenait moins à une copie de photographies de paysage qu’à un travail analytique. Ancré dans son désir d’avoir « quelque chose à lui », il ne retenait rien de son séjour parisien des années 1930, de l’épanouissement du cubisme, de Matisse ou de l’art abstrait.Seul le rendu de la sensation marquait son développement par rapport à l’histoire de la peinture, comme un consensus autour d’une technique en attendant de voir mieux, de trouver autre chose, pour constituer la matière brute du réel. Il devait dire, plus tard : « avec un seul paysage de la Qadisha, j’ai la matière de cent toiles abstraites ». Le succès lui vint après l’exposition qu’il fit, en 1936, dans les salons du Parlement libanais.

En 1945, l’exposition de l’hôtel Saint-Georges, avec ses paysages libanais et ses femmes druzes, lui apporta la consécration. La presse et le public furent dithyrambiques. Le Liban tout entier trouvait dans la peinture de Douaihy, délicate et sensible aux couleurs et nuances du pays, l’image fidèle de ce qu’il était ou voulait être. Peu après l’exposition, il s’installa à Beyrouth et loua un atelier rue de l’Uruguay. Plus le succès se confirmait, et plus le peintre se sentait mal à l’aise. Il vécut difficilement la fin des années 1940 et son atmosphère de transition culturelle ; mais son malaise venait aussi du sentiment de ne pouvoir aller plus loin. Tant d’honneurs, de visites, de temps perdu lui donnaient l’impression d’un glissement accéléré sur une pente qui l’effrayait.

Que faire ? Retourner à Paris ? Mais il y avait vécu plusieurs années tout jeune, et pour celui qui a connu Paris dans sa jeunesse, le retour à l’âge mûr laisse un goût de cendres. Aussi quand, en 1950, il fut envoyé aux États-Unis par le gouvernement libanais, il entreprit le voyage avec un vif plaisir.

L’éloignement allait lui donner le recul indispensable à la mise au point et à l’analyse critique de son travail et lui permettre un nouveau départ. Ce n’était pas de l’Europe de l’après-guerre, entre l’abstraction et l’incertitude d’un continent hanté par des millions de morts, qu’il pouvait l’attendre.

Dans le bouillon culturel new-yorkais, où avaient afflué massivement l’intelligentsia européenne et les artistes réfugiés : Matta, Max Ernst, Zadkine, Masson, Duchamp, tout régionalisme apparaissait comme un langage définitivement périmé. Il ne fallait plus songer à rendre fidèlement le folklore et le paysage libanais.

Avec sa formation classique, marquée par Habib Srour et les Beaux-Arts de Paris, il était évident que Douaihy ne pouvait plus imposer ses normes. Au demeurant, dans son pays même, il avait réussi au-delà de ses espérances.

Le besoin de casser les couleurs anciennes et de s’ouvrir au monde lui apparut alors comme plus réel et plus urgent. Que pouvaient apporter des Libanais à l’art international ? Il comprit que le défi véritable ne relevait que de lui-même. Il fallait faire passer sa propre nature avant le monde extérieur.

Il passa ses six premières années à New York (1950-1956) dans l’atmosphère de l’expressionnisme abstrait, et il vécut cette époque comme une traversée du désert à la fois difficile et heureuse. Face à l’expressionnisme américain, il réinventa le vocabulaire premier de la peinture en affrontant la scène artistique la plus difficile d’accès. Sensible aux tendances contemporaines de la peinture américaine, il élaborait, à travers leurs langages, une spécificité formelle et comme une décantation qui, curieusement, hissèrent son travail au niveau international, sans, pour autant, lui faire perdre son caractère premier, la référence initiale au monde sensible.

C’est de ce séjour à New York qu’il faut dater sa véritable naissance de peintre ; de sa découverte qu’il était possible de renaître à chaque fois et de trouver une réponse pertinente à chaque crise.

De retour au Liban en 1956, Douaihy fut confirmé dans sa certitude que l’important pour lui se jouait bien par rapport à son pays, mais se plaçait sur une autre scène que celle qu’il avait d’abord choisie. Il avait découvert, entre le Liban-Nord, Paris, Beyrouth et New York, un chemin culturel à parcourir.

En 1959, il retourna aux États-Unis. Les années libanaises l’avaient aidé à comprendre qu’il tenait plus que tout à son pays, qu’il n’émigrait pas pour émigrer, mais qu’il devait vivre un exil intérieur, entre ce qui était acquis au prime abord et ce qui était continuellement à conquérir.

Six ans plus tard, après une visite de Betty Parsons à son atelier, une exposition fut organisée à la galerie The Contemporaries, à Madison Avenue. Le succès fut foudroyant et plusieurs musées américains lui achetèrent ses œuvres. La presse libanaise de l’époque, qui titra « Saliba Douaihy passe du figuratif à l’abstrait » et parla de « reniement » fut désorientée par ce triomphe. Le peintre, au-delà des mers, semblait perdu dans les pièges d’une modernité tapageuse.

Le rapport de Douaihy à la peinture libanaise a été explicité à ses propres yeux par les variations de ses fresques et des influences stylistiques qui s’y exerçaient – byzantines, réalistes, ou italiennes de la Renaissance. En abandonnant ces fresques il rompit le lien qui le reliait à la peinture religieuse maronite, mais cela ne l’empêcha pas de continuer à exécuter des commandes de peinture religieuse.

Les problèmes de génération, à ses yeux, ne se posaient pas plus au niveau sociologique qu’au niveau culturel, parce que la peinture, si elle ne relevait pas toujours d’un artisanat, exigeait un apprentissage où le maître restait le maître, et les Européens les grands maîtres. Il put d’ailleurs vérifier, lors de l’exposition organisée à l’occasion de la troisième session de l’Unesco au Liban, combien le conflit de générations brouillait toute lecture possible de l’histoire de la peinture locale, même s’il ne semblait s’agir que de querelles de prééminence.

Qu’allait-il advenir de ce qui était là dès les débuts : la tradition, la peinture religieuse, Saint-Jean de Zghorta et le couvent d’Ain Warqa ? Douaihy n’hésita pas à utiliser les anciennes périodes comme variantes stylistiques, comme des objets extérieurs à propos desquels la reprise du vocabulaire n’a guère d’importance et pour lesquels ne joue pas la chronologie. Sa solitude avait rendu sa démarche difficile, du fait de l’ampleur des domaines qu’il avait tenté de couvrir, et d’une sensibilité maladive à tout ce qui touchait, de près ou de loin, à la presse et au jugement d’autrui.

La tradition de la peinture libanaise – atelier, continuité, transmission et vente selon les lois et le goût du marché – impliquait l’intégration tribale de la culture. Douaihy sut quitter ce paysage pour la peinture réelle. Avec lui, on passe de l’illustration sociologique à l’histoire de la peinture. Le seul affrontement possible à la modernité ne pouvait qu’être une rupture avec l’histoire auto-constituée de la peinture au Liban. II s’agissait moins d’une seule rupture que d’une série de ruptures successives qu’il conviendrait de détailler et de dater. De prime abord, on y voyait seulement le souci d’un art universel, dont serait exclu tout particularisme local. Ce qu’il se mit à percevoir à partir d’un certain moment n’était pas l’objet mais la peinture, le sujet même de la peinture, non plus le paysage et la nature, mais la question : « Comment les peindre ? »

Dans l’exil, sa démarche fut celle de Gibran. Son séjour en Amérique fut marqué par une sorte de syndrome de Gibran : désir de conquête, cours du soir, lectures intensives de philosophie et de spiritualité. Mais Gibran portait une ambition politique, et voulait réconcilier l’Orient avec lui-même, hors de toutes les religions.

Il faut avoir connu Saliba Douaihy pour comprendre comment il a fonctionné : en homme du Liban-Nord, l’un de ces maronites radicaux et irrédentistes dont l’identité tient à un entêtement dont on mesure mal le degré, et pour qui l’émigration porte moins le désir d’intégration d’une culture universelle que la nécessité absolue de la survie. Comme le disait l’un de ses compatriotes : « dans sa tête, il était resté dans son village ». Certes, il voyagea, mais ce fut, étrangement, dans un circuit religieux : foyer maronite à Paris, église maronite de New York, communautés libanaises de l’émigration. Dans quelle mesure un individu se maintient-il par rapport au monde ? Mais dans quelle mesure le rapport au monde ne procède-t-il pas d’un enfermement, d’un repli sur ses critères et choix personnels ?

Douaihy a repris en charge toute l’histoire de la peinture au Liban, qu’il voyait comme un arrêt hors de l’Histoire. Il clôt l’impressionnisme dans le cadre de la peinture libanaise, mais de manière négative, en faisant l’impasse sur sa pratique. Il a surtout découvert que le dialogue avec la toile est la seule solution, la seule solitude possible et qu’il faut, pour pouvoir la rompre, se réfugier dans l’irréductible de l’identité ; prendre ses distances alors qu’elle colle à vous. Il introduisit, de ce fait, le rapport fondamental à la modernité, impossible sans rupture, et de la nécessaire corrélation entre les deux termes. Car dans l’histoire de la peinture occidentale, européenne autant qu’américaine, la modernité fut toujours assurée par la volonté de rompre. Mais il alla à la modernité avec tout le bagage ancien que lui avait donné sa formation du xixe siècle. C’est ce qui explique les tentatives répétées pour sortir des prisons et des carcans, ainsi que la violence de la couleur sans forme, du premier peintre libanais dont la rupture ne fut pas seulement rhétorique et verbale, mais sémantique.

Pour qu’elle eût lieu, il fallait évidemment qu’existât quelque chose avec quoi rompre. Qu’il ne l’ait pas fait plus tôt, lors de son passage aux Beaux-Arts de Paris, tint à ce que l’enseignement alors reçu était celui de la fabrication d’une toile sensible et réaliste. L’interrogation sur l’histoire de l’art n’avait pas encore surgi en lui. Mais il fallait que cette histoire s’incarnât dans une société et un milieu pour qu’on se posât la question et que surgît, pour la première fois, la rupture, acte fondateur et moteur d’une autre peinture libanaise.

Douaihy mort, tout semble avoir sombré corps et biens. La perte de la mémoire et le maintien tant bien que mal de l’homogénéité ou de l’unité de l’œuvre, par la présence du peintre, n’avaient plus cours.

Les liens complexes entre Paris, New York et le Liban, ont ouvert la voie plus qu’à un oubli dispendieux, au trafic de faux. Le temps même de la vie du peintre et de sa production sont dissociés. Avant de s’installer à Paris les dernières années de sa vie, Douaihy habita Londres quelques années et y vendit plusieurs ensembles de toiles. Aussi à Paris, même si cette ville présente un terrain plus complexe, il ne vendit surtout qu’aux Libanais de la ville.

L’on vit surgir après sa mort des quantités de faux, de manière tellement évidente : châssis trop neuf, crochets jamais utilisés par le peintre et surtout une copie géométrisée dans l’esprit de son travail qui se signalait par là même, en des variantes d’une pâle application, trop proche de l’esprit du peintre pour être de sa main. Surtout avec des variantes stylistiques trop forcées pour être proches.

Sa signature tournait à l’imitation tellement maladroite et évidente que ce qui l’identifiait clairement était avant tout ce qui disait qu’elle était fausse.

Les couleurs utilisées, polymères trop modernes et non acryliques, le mode d’application de la couleur sur la toile, la manière même de signer, de tendre le châssis, toute la part physique de la peinture disait le faux.

Le circuit était si bien rodé et choquant par une fraude massive qu’elle finit par imposer un autre regard sur toute l’œuvre et ce faux s’installait à la place du peintre en s’imposant comme une œuvre entière de remplacement.

Cela disait clairement : nous sommes l’œuvre toute entière homogène et fausse de remplacement de l’œuvre de Saliba Douaihy, destinée à répondre à la demande de toiles, dont on ne sait trop où elles sont.

J’avais souvent vu Douaihy à Paris de la fin des années 1980 à sa mort, mais j’avoue ne pas avoir réalisé l’importance intellectuelle et esthétique du personnage et de sa peinture.

Installé à Champigny-sur-Marne, au premier étage d’un pavillon meublé comme s’il s’apprêtait à repartir, il s’était fait construire au fond d’un jardin, un atelier toujours en travaux, ce qui faisait qu’on n’y voyait jamais une toile. À l’étage, les seuls livres de la bibliothèque étaient ceux d’une encyclopédie britannique avec quelques caleçons mis à sécher sur la balustrade.

Il avait vendu à Londres une grande partie de ses anciennes toiles et en avait gardé d’autres dans ses ateliers aux États-Unis. Littéralement partagé entre l’Europe, l’Amérique et le Liban, il essayait en vain d’assembler la complexité de ses regroupements culturels, de ses lectures et pratiques picturales et formelles.

Il était resté, malgré son mariage, ce célibataire installé dans l’atelier au-dessus de l’église maronite de Brooklyn, pour poursuivre l’antidestin d’un Gibran réalisé en peinture. Les années parisiennes l’avaient habitué à une solitude studieuse dont il se départait désormais d’autant moins que le pari newyorkais l’affrontait directement à Gibran.

Nous allions dîner dans des restaurants chinois du Quartier Latin, comme à l’époque où il était étudiant aux Beaux-Arts à Paris, mais les restaurants étaient glauques et après les cafés où nous passions des heures il rentrait tard chez lui en taxi. Champigny-sur-Marne. C’était surtout l’antivoyage, la remontée du temps immobile, une vraie régression.

Il aura été roulé par des avocats, des journalistes, des littérateurs ou des collectionneurs qui lui promettaient expositions, monographies et à qui il laissait des toiles qu’il n’osait pas faire décrocher, se dépensant sans fin pour des imbéciles et des filous. Il en était resté à la parole donnée.

Il avait aussi gardé ce respect pour les politiques et les riches qui lui avaient acheté des toiles, comme si le besoin de subvertir son propre travail ne devait pas aller à l’encontre de ceux qui multipliaient les pièges à leur propre profit.

Il n’avait pas réalisé l’horreur d’être revenu un demi-siècle plus tard à son point de départ. Toujours à l’illusion de croire que Paris permet d’économiser toute explication quand elle les étouffe toutes, réunies à l’excès du désir ou excès du désir d’explication. Chacun croit avoir trouvé son interlocuteur idéal dans cette ville, mais le miroir est biaisé.

J’avoue ne pas avoir compris sa difficulté à remonter les fils, ni son courage, ni son obsolescence.

Il lui était pourtant plus difficile encore de battre les cartes alors qu’il ne jouait plus. Comment vouliez-vous qu’il arrive à déjouer toutes ces parties faussées. Il avait entrepris une manière de périple à l’envers à partir de Londres puis de Paris. Le tout était censé le ramener au Liban, alors qu’il ne voulait pas y revenir.

Il aurait suffi pourtant de lui dire toute l’importance de ce qu’il avait réalisé, mais cela l’avait-il peut-être compris.

Des toiles de Dimane au retour à l’écriture syriaque et aux toiles abstraites de sa dernière période, il fut le seul peintre libanais à avoir essayé de poser des questions face à la culture du monde.

Le compte rendu que l’on fit de sa peinture était si médiocre et parcellaire et marginal qu’il fut plus encore ébranlé par la vague des faux, réalisés de son vivant, à partir de 1950 jusqu’aux années 1980, en entreprise systématique de duplication et de réinterprétation de toute son œuvre.

Toute une œuvre de faussaires se construisait sur le hiatus vertigineux de l’absence.

Douaihy est le seul maître de l’exil et plus encore de l’exil américain quand tous les autres n’auront été que les petits maîtres de la broderie, du faux drame et de la décoration.

Le maître de l’exil c’est tout simplement celui qui se rend maître de sa création. 

صليبا الدويهي.jpg

Saliba Douaihy, Ain Warqa, 1950

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