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Elia Lucien

Beyrouth, 1938

Lucien Elia commença par peindre au Liban, avant de faire à Paris des études de peinture et de publicité et d’écrire un premier livre Les Types. Rentré au Liban en 1965 avec l’intention de n’y rester que six mois, il travailla dans une agence de publicité, puis tint la rubrique de critique d’art dans un hebdomadaire. Il ne repartit pour la France qu’en 1969, et y écrivit un second livre, Les Ratés de la Diaspora, l’un des meilleurs témoignages qui existent sur la vie quotidienne à Beyrouth. À la différence d’André Bercoff, qui était d’origine russe, Elia était proche du petit peuple du quartier juif de Beyrouth, Wadi Abou Jemil.

Ses multiples expériences de dessinateur publicitaire, peintre, journaliste et écrivain illustrent, en dépit de sa marginalité, ce que fut le Liban des années 1950 et 1960, période où les individus, hors des circuits traditionnels de la société, accédaient à l’ambition de leur expression propre. Il percevait la société libanaise comme un tout fractionné par ses propres griefs à son endroit.

Son aventure fut celle du jeune homme sensible et intelligent, aux talents réels et multiples, qui cherche à réussir dans l’existence et n’a eu pour réponse que le sentiment d’être exclu de la société qui l’entoure.

Fasciné par le passé, il éprouvait le sentiment douloureux d’un temps arrêté, d’un monde perdu à jamais. Il lui fallut passer par la destruction intérieure de ce monde, à ses risques et périls, pour en tirer sinon une recréation par l’écriture, du moins un texte parodique aux accents épiques un peu forcés qui est l’une des rares descriptions liées au réel, allant au-delà des fioritures du conte oriental. Cette ambition du réel était, à l’époque, encore neuve. Il ne s’agissait pas de réalisme, mais tout simplement de regarder.

Toute lecture de l’histoire de la culture au Liban est plus identitaire qu’unitaire. Dans ce pays, bien moins morcelé qu’on le croit, ces clivages semblent inéluctables. Toute expression sociocommunautaire devient culturelle, si la culture est vue comme englobant les champs les plus vastes et, surtout, les formes et registres de son expression dans le cadre libanais. Cela va de l’histoire et de l’enseignement de la théologie aux modalités des pratiques religieuses, des variations du rapport à la ville à l’exercice des différents métiers, de la littérature à l’affiche publicitaire. Toute approche implique aussitôt la division en dix-sept communautés et confessions, et ce sont les différentes activités au sein de chacune d’elles qui imposent la direction générale. Toutefois, le développement des structures urbaines et, surtout, de la capitale, a créé des espaces de dialogue et de confrontation qui ont cessé de ramener l’individu à sa seule communauté.

Que pouvait faire Elia, en un temps où se désintégrait sa communauté juive ? Il n’était pas question de sauver à lui seul cette réalité communautaire, même si c’était là son plus profond désir. Sa réponse fut Les Ratés de la Diaspora, qui reste son meilleur livre, même si l’on y sent des influences diverses, allant d’un Céline policé à l’École juive de New York. « Cela me dérange d’être tiré du côté de Beyrouth », disait-il. Il ne voulait ni renier ni régresser. Il illustre une sociologie de la peinture qui n’obéit plus à un déterminisme premier, mais à la volonté de rompre, grâce à une expérience et à des choix personnels.

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