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Mourani Philippe

Beyrouth, 6 janvier 1875 – Paris, 1970

Le texte le plus révélateur sur Mourani, ce sont les deux pages qu’il publia sur les Spiridon, dont il avait oublié les prénoms, confondant le père et fils, tous deux peintres. Mourani se projetait, en effet, en Spiridon, comme symbole du peintre dont on ne sait plus si son retour au Liban, dont il était originaire, ne signa pas la mort. Il vécut l’ambivalence d’une situation partagée entre le Liban et la France, même si, au départ, sa formation de peintre religieux en Italie le destinait à une carrière libanaise. Pour lui, la France fut le retour à la peinture et au désir de peindre. Après son diplôme à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts à Paris (1892-1895), il vécut de 1895 à 1901 à Beyrouth, y fit des portraits, mit de côté quelque argent et accompagna une mission archéologique française à Palmyre. Après avoir passé la Première Guerre mondiale au Caire, il s’installa à Paris en 1920.

S’il voyagea beaucoup, cela ne tint pas uniquement à des raisons professionnelles. Il y avait chez lui un fond de nomadisme et d’errance, errance curieusement bourgeoise, car il tenait à la respectabilité et n’avait rien d’un rapin. Cette respectabilité transparaît, au demeurant, dans sa peinture.

Mourani est un peintre de la circonstance, mais la circonstance, au lieu de mettre en branle chez lui les mécanismes de la création, les appesantit pour l’exécution de la toile. Il avait le goût de l’astuce systématique, de l’invention, du travail manuel, et son art était fixé et figé, comme la dernière figure de la représentation.

À un moment, Mourani devint, pour un cercle restreint, le peintre de l’imaginaire d’un Orient où ses toiles se vendaient plus qu’à Paris. Corm parlait de sa propre minutie paysanne, de l’éclat et de la tristesse de peindre. Mourani, lui, peignait dans une anesthésie de la sensibilité, soumis à une idée de l’art qui aplatissait tout. En somme, il lui fallait reproduire. Ce qui parle en lui n’est pas la peinture, mais les circonstances qui l’entourent. Tout le problème est que ces circonstances transparaissent parfois dans ses toiles. Pourtant, certaines d’entre elles mettent en scène un ailleurs inattendu, ouvrent une porte, et l’on y voit passer autre chose que la minutie.

Sa longévité exceptionnelle, semblable à celle de Corm, rendait inévitables les hauts et les bas de l’œuvre. La multiplicité des milieux culturels et sociaux avec lesquels tous deux entrèrent en contact les rapprochait. Ses voyages – Italie, France, Égypte, Algérie – tenaient de la tentative de se placer en artisan de la peinture. On sent toujours que cette production renâcle quand on voudrait l’entendre parler de lui, se limitant au récitatif des souvenirs.

Appelé un temps au ministère de l’Éducation nationale du Liban pour la réorganisation de l’enseignement artistique et de l’artisanat, Mourani se lassa vite de cette tâche et retourna en France. Paris remplaçait pour lui le Beyrouth possible, mais Beyrouth ne put jamais remplacer Paris. Peintre orientaliste en 1910, quand il fallait faire une peinture de genre, peintre orientalisant au Liban dans les années 1930 et, finalement, peintre oriental en France, l’adjectif ne cessa jamais de le rejoindre. En fait, le jeu de l’identité, chez lui, ne fonctionnait pas par rapport aux variations de l’identité libanaise mais à sa propre adaptation de l’image qui lui en était à chaque fois demandée.

Dès le départ, il y eut chez Mourani comme une peinture mal comprise et mal perçue, copie minutieuse se figeant dans le détail. Laurens, son professeur à l’École des Beaux-Arts, déplorait qu’il n’eût jamais de vision d’ensemble, et que le genre d’orientalisme sur lequel il travaillait, son goût du rendu de l’Orient, lui ait paru tenir uniquement aux détails.

En effet, pour Mourani, la peinture était, avant tout, copie et rendu. Il ne pouvait pas la comprendre autrement. Il lui était impossible de synthétiser, d’équilibrer une toile, de jouer le jeu qui consiste à mettre en avant certains détails et à en estomper d’autres.

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