top of page

Norikian Krikor

Beyrouth, 1942

Le problème de la peinture arménienne au Liban tient tout autant à une fantasmatique de l’identité comme projection personnelle ou collective qu’à cette identité même. Il est révélateur que l’obsession de tous les Arméniens réfugiés au Liban ait porté sur l’acquisition d’une carte d’identité.

Krikor Norikian commença par s’inscrire à l’atelier de Guvder. Cet apprentissage lui donna le goût du trait large, un peu général, qui finit par donner le sentiment de dessiner un visage et tous les visages à la fois. L’influence de Guvder se sent dans son dessin et la manière emblématique dont il développait l’accolement de plusieurs visages, où les traits, yeux, nez et lèvres rythment à la fois la lecture et l’interprétation.

Peut-être n’avait-il d’autre choix que de travailler dans le cadre de la peinture arménienne. C’était le seul cadre de lui connu. Ce qui fit jouer d’autres choix fut, tout simplement, la présence des dix-sept communautés libanaises et, pour chacune, l’expression du sociocommunautaire dans le culturel, comme si l’identification picturale ne pouvait être, d’emblée, que communautaire.

Norikian s’installa en France en 1976. Depuis lors, dans ses huiles et lithographies, il s’employa à explorer les variations de l’exil, n’ayant plus à conjurer l’effroi de sa répétition. À la fin des années 1970, il passa à un travail où le visage, conçu comme une architecture, rejoignait les formes architecturales arméniennes traditionnelles.

C’était sa manière de donner corps à tous ces corps absents, alors que ces visages n’avaient littéralement pas de corps. Ses monuments devenaient les corps perdus de tous les Arméniens.

Pour une grande part, la peinture arménienne s’alimente aux mythologies personnelles. Elle porte trace de la façon dont chacun des peintres arméniens a supporté la séparation de la terre-mère.

Le Liban, pour Norikian, fut une autre terre perdue, écho d’une situation antérieure. Sa rigidité tendue vient de l’excès de gêne, de la nécessité absolue de s’en tenir à la lithographie, peut-être pour avoir l’assurance de retrouver un métier partout où il irait. Mais n’est-ce que cela ? Elle vient aussi de la rigidité de l’instrumentation de l’affect, du souci d’en maîtriser l’éventuel manque aussi bien que le trop-plein. Ce n’est pas là affaire de mesure, mais d’autodéfense. La culture n’étant plus que le signe de ce qui s’était perdu et continuait pourtant à se perdre.

bottom of page