Philips Alfons
Allemagne, 1937–1987
Allemand de l’Est, Alfons Philips, en route vers l’Inde, fit escale au Liban à la fin des années 1950 et décida de s’y installer. Il dut, pour gagner sa vie, faire des décors de vitrines et de théâtre. Une partie de son travail correspond à une réalisation matérielle de l’atmosphère de Paul Klee : un bricolage poétique empreint d’humour, où dessin et peinture deviennent la maquette de l’expression.
Proche de Klee, mais aussi de toutes les recherches modernes, sculptures en situation et détournements humoristiques et littéraires, Philips visait à une critique, parfois efficace, du monde moderne vu par le petit bout de la lorgnette et avec l’humilité des objets trouvés, soupçonnant par ailleurs, sans oser le dire, que le monde même pourrait être un objet trouvé.
Il y a aussi chez lui comme une plainte fatiguée qui s’adresse à la lourdeur de l’Allemagne, plainte poétique, alors que, chez Beuys, elle est refus radical, dans la prise en charge même de la tradition allemande dont une aigrette de plumes bleues ne parvient pas à égayer le métal du cylindre de fonte qui lui tient lieu de couvre-chef.
Usant de la seule ruse possible – le détournement humoristique d’objets utilitaires –, Philips fut comme le Don Quichotte d’une peine perdue.
Rien ne servait à rien, la lutte était trop inégale.
Dans l’histoire de la pédagogie artistique, Guvder apportait le sens de la forme et de la ligne, le travail du dessin, alors que Philips donnait le goût du matériel et de son apport fondamental comme instrument poétique. Il en décodait le vocabulaire et les différentes significations. Il y était arrivé par le refus des moyens traditionnels de la peinture, et la poésie consistait précisément à ses yeux en ce détournement.
Philips questionna la pédagogie artistique allemande, les séquelles de la modernité, dans un pays – le Liban – où il ressentait la poésie comme la manière même de vivre. Mais le Liban n’avait pas répondu, sinon à son attente, du moins à l’arrière-plan idyllique de son rêve, et ce silence lui était cruel. Il lui fallut donc conjurer la dépression naissante et perpétuellement entretenue parce que nécessaire à sa création.
Il occupa donc le terrain de manière compulsive par un bricolage assourdissant.
Réintroduire Klee avec des boutons et du métal, c’était une façon de faire poliment reproche à l’Allemagne de les avoir tous deux rejetés. Klee, en un pays lointain, avec la poésie, la mort et l’oubli, et lui, dont la nostalgie devenait plus cruelle, dans le seul pays où la poésie de vivre ne coûtait pas plus d’effort que l’oubli. Mais l’esprit systématique de l’Allemand pallie toujours ses faiblesses et les errements de son propre choix par l’occupation de tout le terrain possible, que ce soit dans le doute ou l’angoisse, dans l’apaisement ou la joie.
Philips fut un marginal de la scène culturelle libanaise, mais son rôle pédagogique y fut important, bien que limité à ses élèves dans les différents instituts et écoles des Beaux-Arts où il enseigna.
Il marque un mysticisme de la terre et de la couleur, il emmenait ses élèves dans la nature à la recherche de pigments, dans une communion où le sens de la pauvreté exaltait pour lui la sensualité de la terre devenue matière et couleur.
Il fit deux expositions à Beyrouth, du 20 au 29 janvier 1972 à Dar el Fan, et du 4 au 10 mai 1974 au Centre d’Art 2.